Le Sahara Occidental

Envoi : Mail 3
Date : 13 novembre 2000
Lieu : Laayoune
Kilométrage : 3600

De Rabat à Guelmine, je traverse le Haut-Atlas et l'Anti-Atlas. A Casablanca, première chute a vélo, de nuit. Assez spectaculaire. J'avale les 160 km entre Settat et Marrakech en une journée, découvre le folklore marocain de la place Jamen Fnaa avec un turc bordelais qui me fait fumer du polen et un jeune arabe qui m'enseigne les secrets du thé marocain. Un singe me pisse dessus. J'assiste alors à une leçon de marchandage d'antologie de mon Turc qui casse les prix pour me racheter un tee-shirt.

Pour rejoindre Agadir, je prends une petite route déserte.
Je n'ai toujours pas acheté de plan. La nuit tombe. Je distingue un groupe d'homme dans la pénombre, les aborde.
Ca se passe très vite, j'abandonne mon vélo et ils me hissent sur leur tracteur. Ils parlent entre eux. J'ai beau me concentrer, je ne reconnais pas un mot d'arabe.
Le tracteur s'éloigne de la route et j'arrive dans un étrange petit village.
Les maisons sont en argile, vieilles de 400 ans.
"Nous ne sommes pas des arabes, nous sommes des berbères."

Au seuil de la maison, des enfants me sautent au cou. Quand je serre la main du patriarche, il ne la porte pas à son coeur mais à ses lèvres. Une lampe à gaz diffuse une lumière jaune. On s'allonge sur des coussins. Tagine. Thé à la menthe très sucré. Les heures passent, on parle encore. "Tu restes là demain?" Un peu que je reste!
Visite du village.
Ils cultivent la terre, petits pois et artichauds. J'assiste à la fabrication artisanale de l'huile d'olive.

A la fin de la journée, tous les habitants du village me connaissent. C'est-à-dire les hommes. Avec une dizaine d'entre eux j'aborde les thèmes du Coran, des femmes... Certains ont 11 enfants d'une femme, un autre 30 de quatre. Discussion passionnante. Ces hommes sont très tolérants, pacifistes.
Le soir, on monte en haut des dunes voir le soleil se noyer dans l'Atlas.

Au loin, le Toubkhal. Départ difficile. Je leur promets de revenir un jour.


Je repars. La nuit tombe.
J'entre dans un petit resto au bord de la route, discute avec les clients. J'attends. Ca ne tarde pas, l'un d'eux me propose sa chambre. Je commence à apprendre à rentrer en contact avec ces hommes.

A Agadir je me prépare pour le désert, répare toutes les broutilles.

A Tiznit, je fais sensation au milieu des 4x4 qui prennent la même route que moi. Certains ont installé la parabole sur le toit. Un débarquement de portugais fraichement sponsorisé et bardés d'autocollants lorgnent mon vélo d'un air incrédule.

Au pied de l'Anti-Atlas, j'aborde Larbi, berger à vélo. On discute sur les 900 mètres de dénivellé, il m'offre le thé au sommet et m'accompagne encore un peu. Il soupire. "Je t'aurai bien suivi jusqu'au bout du monde, mais la famille, l'argent..."
De l'autre côté de l'Atlas, contrôle de police. Scène delectable.J'adore les flics marocains avec leurs uniformes sortis tout droit de "Tintin et le sceptre d'Ottokar" et leur pauvre mob peugeot.Et puis toujours prêt à tailler une bavette. L'un d'eux me retient 30 minutes, parle, parle, semble ne jamais vouloir s'arrêter. Il conclut, "Ah, la France!... C'est quand même grace aux français que... que... (un ange passe)... qu'on parle français!". Je suis mort de rire. Il me propose de dormir chez lui, non merci je dois aller à Guelmine, c'est le deuxième refus de la journée. Guelmine. La porte du désert. Un homme me hèle, m'offre un thé. Celui-là c'est un escroc, je le sens très vite. Au bout de son baratin où il m'explique qu'il faut absolument que j'offre un kilo de clou de girofle à 300 dh aux douaniers de Dakhla en guise de bakchich (!), je me dérobe. Il est vert. Je dormirai à l'hôtel. 20 francs. Bilan : un thé à la menthe offert sur 20 est un plan foireux! La balance est quand même largement positive! Le soir, un jeune marocain me confiera : "Quand je parle avec un étranger, j'essaie d'être le plus accueillant possible, d'être le plus beau miroir de mon pays." Départ pou Tan-Tan. 35°. J'empille les bouteilles d'eau à l'arrière.

Au bout de 65 kilometres, au milieu de nulle part, un café. J'entre pour boire. Et là commence une des plus belle rencontre depuis le début de mon voyage. Icham et Saïd. Deux Saharouis de 24 ans qui se sont lancés ce défi fou, il y a deux semaines : créer un café-restaurant dans le désert.
Je me sens tout de suite en famille, ils parlent français, rejetent le matérialisme de leur environnement, méprisent l'argent. Plus qu'un café, ils aspirent à créer un lieu de vie sur une route qui en ai dépourvue.
Au Sahara pas d'impôt alors ils ont acheté un frigo, des tables, quelques chaises et... une télé qui attire des hommes dont certains n'en ont encore jamais vu. Ils décorent leur café, et ça, ce superflu, les paysans du coin ne connaissent pas. Aux murs des posters et quelques guirlandes de fleur en plastique.

Ces deux-là cherchent à humaniser le désert. Ils sont deux et ils travaillent tous les jours. 24h/24. Le café ne ferme jamais, ils se relaient la nuit pour guetter les éventuels camions, dorment 3h. Ils savent tout faire. Tous les soirs ils font mijoter des tagines pour attirer les badeaux.
Je sors ma caméra et c'est l'émeute parmis les clients qui n'en reviennent pas de se voir, en petit, sur l'écran LCD. On est mort de rire. A chaque nouveau client, le cirque redémarre, Saïd les filme, Icham les prends en photos et moi je me marre derrière le comptoir.
Avec la parabole, ce doit être le café le plus moderne du coin. Au matin, petit déjeuner typique Saharoui : du foi de dromadaire, légerement cuit au grill. Saïd me donne un bout de gras à mastiquer. Bizarre. En allant au souk, il m'avouera : "tu sais ce que tu as mangé ce matin? De la bosse de chameau!"

Je me sens tellement bien avec eux, c'est indescriptible.
Ils me proposent de rester avec eux, de monter un terrain de camping, ils ont beaucoup de terre comme tous les Saharouis, on pourrait retaper une pièce, mettre un lit, et transformer le café en auberge. Tout reste à faire ici et toutes les voitures qui passent en Mauritanie prennent cette route.
Au troisième jour, le départ est vraiment difficile. Echange de petits cadeaux.A bientôt mes frères du désert, je reviendrais, inch'Allah!
Je repars. Une voiture s'arrête. Des hommes sont interloqués de voir quelqu'un à vélo. Ce sont des contrebandiers. Foued et Abdou. Je pose mon vélo, on s'assoit sur le sable au bord de la route.
"Et vous trafiquez quoi au juste?
-Ca te dis du vin rouge de France?"
Scène délectable. Chez les arabes on boit le vin dans un petit verre qu'on fait tourner. Ils reflechissent, me donnent l'adresse d'un ami à eux, Hassan, prof de français à Tan-Tan.
Je repars en zigzaguant.
A l'arrivée, ils m'ont attendus. Chez Hassan, accueil très chaleureux. Les six bouteilles de rouge vont y passer. Il me fait écouter du celtique berbère, et moi du celtique sénégalais.

Je repars. A la sortie de la ville, un groupe m'entoure, louche sur mon vélo.
Ma technique est bien rodée maintenant. je m'approche de celui qui semble être le chef, lui serre spontanément la main, récite mes salamalecs habituels et on se quitte en se souhaitant bonne route.
Un vent terrible souffle de la mer. Sortie de Perpignan remake. 5,9 km/h au compteur. Enrubanné comme une momie, j'ai du sable qui crisse sous les dents, malgré le chèche. Puis soudain, le four. Plus de ciel, plus de route, plus de vélo. Je ne vois absolument rien, c'est fascinant sauf qu'il vaut mieux se jeter dans le fossé parce que les camions aussi ont disparu.
Le vent retombe. Le sable se disperse. Ca a duré 10 secondes maximum.
A l'entrée de Tan-Tan plage, un groupe de gosse à vélo m'interpellent :
"Israeliens ou pas?
-Français, français!
-Ah bon, parce que sinon..."
Ils ont 12 ans et ils jouent à la guerre. Ca se terminera par une bonne séance de photos en règle.
Je rejoins la mer. Le paysage est incroyable, je roule entre les dunes et l'Atlantique balayée par une houle violente. Je plante ma tente à côté de la Gendarmerie royale.

Au réveil, le cauchemar : il me manque une chaussure. Se réveiller avec une seule godasse dans le désert quand on est à vélo, c'est pas top. J'ameute tous les flics. On finit par la retrouver à 300 mètres de ma tente.
Un chien.
Je laisserais plus jamais mes pompes hors de la tente, quitte à mourir asphyxié.

Je repars. Le vent est glacial, il souffle par rafale intermitentes et fait tomber la température de 35 à 9-11 degrés. La bronchite ne se fait pas attendre et je commence mes antibiotiques.

Toujours ça de moins à porter. Sur la route, une voiture s'arrête.
Foued et Abdou! Ils sont revenus pour me donner une adresse à Laayoune et une à Dahkla. Je suis ému. Chroukrane gidane!

A 50km de Tarfaya, un homme me fait signe, me tend un verre. Il s'occupe avec quelques hommes de gérer un petit marais salin. Très vite j'installe mon duvet dans leur petit bureau.
Dehors le vent fait rage. Thé à la menthe. Une petite radio grésille "Hôtel california". Je m'endors comme une masse.

Départ pour Laayoune, je roule 160km. On m'apprend qu'un gars du Sud-Tyrol est 500 kilomètres derrière moi à vélo! Enfin un cyclo! Je vais m'arrêter 3 jours à Laayoune pour attendre de l'argent, le temps qu'il me rattrape on va peut-être se croiser! A bientôt en Mauritanie...