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A l'internet Café de Nouakchott, je rencontre Claude Lamotte,
un jeune sénégalais de 29 ans venu percer en Mauritanie. Il m'invite à partager
la chambre qu'il loue. Nous passerons trois jours à discuter de l'Afrique,
des problèmes économiques de la Mauritanie et de ses opportunités. Lui n'a
qu'une ambition, à peine érodée par les années passées à se faire exploiter
: réussir. Brillant étudiant en marketing, je sens chez lui un talent et une
intelligence qui n'a pas encore trouver la possibilité de s'exprimer. Il vient
de se lancer dans la création d'une agence de pub dans un pays où le secteur
reste encore à créer de toute pièce.
Au moment de partir, je trouverai sur la table un petit mot d'encouragement
et... 3000 ouguyas pour me permettre de renflouer ma bourse et de rallier
le fleuve Sénégal. Merci Ami! Bonne chance à toi!
De Nouakchott à Rosso, les journées passent à lutter contre le vent et à refuser
les propositions des camionneurs de charger mon vélo dans leur véhicules.
La nuit, je dors sous des tentes maures et bois mes derniers bols de lait
de chamelle. Je file vers le Sénégal. Tout le monde m'a mis en garde contre
le passage du bac à Rosso.
Arrivé à l'embarcadère, une foule m'encercle, tate fébrilement vélo et sacoches,
je coupe dans la foule, mon passeport disparait dans les mains d'un flic qui
est déjà loin, mon carnet de vaccination dans ceux d'un autre que je n'apercois
déjà plus, je lutte pour conserver mon vélo face à toutes les propositions
"d'aide" des faux-guides qui mettent un point d'honneur à porter mon vélo
jusqu'au bac qui me propose un prix exhorbitant, je refuse, une bagarre explose
à quelques mètres de moi, la concurrence fait rage, je finis par abandonner
mon vélo à des gamins qui le hissent dans une pirogue, moins chère, pendant
que je pars à la recherche de mes papiers.
A ce moment, le flic revient, me prend à l'écart et la situation s'éclaircit
d'un coup : je n'ai pas le bon tampon d'entrée en Mauritamie (malgré les formalités
remplis à Nouadhi et les dizaines de barrages de police passés sans aucune
objection, si ce n'est des demandes fréquentes de "cadeaux"). On conclut :
je suis clandestin, c'est la prison, le rappatriement immediat à la frontière,
ou... bakchich. Je n'ai plus un sou sur moi, aucun probleme, ils sont prêt
à m'escorter jusqu'au premier distributeur VISA de Saint Louis! Des enfants
se disputent mes sacoches, le moteur de la pirogue vrombit. Je n'ais pas le
choix. Ils fixent les prix. Je refuse. Au final, l'entrée au Sénégal me coutera
pas moins de 70.000 CFA (700 FF).
Je suis au Sénégal. Mon vélo et ma caméra (que je ne sortirai pratiquement
jamais) sont toujours avec moi. La suite? J'ai pas trop envie d'en parler.
Je voudrais pouvoir rester objectif, ne sombrer dans aucune généralisation
abusive, mais l'experience que j'ai eu du pays est tel que j'hésite à la communiquer.
Désolé Vinz! J'aurai voulu ne parler que des oiseaux, des baobabs, des fruits
délicieux, de maffé aux cacahuettes, de tiéboudienne, de bissap, sans parler
de l'incroyable beauté des femmes noires. Oui, c'est tout ca, aussi, le Sénégal.
Mais celui que j'ai découvert en solitaire et à vélo n'était que rapports
monétarisés, arnaques et consort.
J'ai jamais eu plus l'impression d'être un paquet de fric sur roues qu'au
Sénégal.
De toutes les personnes qui m'aborderont dans la rue ou sur la route, pas
une ne me demandera pas tôt ou tard du fric ou un cadeau. Ici, plus possible
de baratiner : que tu te prétendes musulman ou pas, tu es d'abord blanc. Toubab.
Donc friqué. Donc potentiellement bon à plumer. C'est tout. C'est la règle.
Le sénégalais qui t'aborde dans la rue le fait d'abord parce qu'en tant que
blanc, tu représentes du blé. L'hospitalité sénégalaise? Elle existe, mais
oublies pas de payer avant de partir.
Et pis pendant que tu y es, vérifie tes sacoches. Le "devoir d'hospitalité"
de tout musulman? Ils l'ont laissé aux arabes.
Islamisés depuis le Xème siècle, leur religion est étrange, mélange de fétichisme,
d'animisme, et d'Islam. Allah est toujours grand, Mahomet reste son prophête,
être musulman te protège des flammes de l'enfer, mais il vaut mieux passer
voir le Marabout avant de passer une douane sans passeport (poudre d'invisibilité)
ou d'acheter un gris-gris si tu crains d'être attaqué (les balles passent
au travers de la chair... indolore, pratique...) Pas un seul de tous les Sénégalais
rencontrés n'a remis en question la réalité de ces "phénomènes". Voyager au
Sénégal, c'est d'abord voyager dans le temps. Le remonter.
Bien sûr, le Sénégal m'a envouté, m'a happé dans un bain de couleurs, de parfums
inconnus et de cette étrange énergie qui émane du centre de Saint Louis, à
l'heure où tous les hommes se hâtent de rentrer à la maison pour "couper"
et que la sirène annonce la fin du jeun. Je pourrais aussi parler des immenses
barques multicolores couchées sur la plage, des pêcheurs rangeant leurs filets,
de ces routes qui débordent de fruits délicieux, des violentes taches de couleur
des boubous des femmes travaillant dans les champs.
Mais le petit toubab qui débarque là, seul, blanc, à vélo ou à pied, et qui
fait 100m dans une ville moyenne est tout sauf à sa place. Je te parle pas
de ces hordes de mômes qui ne savent que hurler "Toubab, donne moi argent"
quand tu passes. Ceux-là sont innofensifs. Ni du risque, bien réel, de se
faire aggresser en plein jour à Dakar, tout le monde t'avait prévenu. Non,
je te parle de ces Sénégalais qui te plument après t'avoir invité à passer
la journée entière dans leur famille, à jouer avec les enfants et à regarder
les photos de famille avec leur mère. Je me suis fait volé trois fois de cette
manière. On me retorquera que le Sénégal est pauvre. Je répondrais qu'ils
restent 10 fois plus riches que ces bergers mauritaniens qui ne possèdent
qu'une tente et quelques chameaux, mais n'auraient jamais volé un invité.
Affaire de dignité. Et puis au moins, ceux-là ne te baratinent pas un discours
sur leur hospitalité. Tu t'allonges sur le sol et tu manges.
Dans le Boeing qui me ramenait à Bruxelles et qui clôturait mon périple africain,
je me rapelle avoir réalisé que ce continent renfermait les deux mois les
plus intenses de ma vie, en même temps que je me sentais pour la première
fois et jusqu'au fond de mes tripes, profondément, intensément, européen.
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