La Thaïlande

Envoi : Mail 9
Date : 26 mai 2001
Lieu : Mashad, Iran
Kilométrage : 13700

Je suis assis a la terrasse d'un cafe. Un vieillard en robe safran s'avance, un sac ouvert a la main. Le patron accourre, lui remplit sa musette de gateaux puis se prosterne aux pieds du moine. Celui ci entame sa litanie.
Il est 7h du matin, le soleil se leve sur la Thailande... Bienvenue a toi, voyageur!

La Thailande a ete pour moi une longue suite d'invitations.
J'en garde le souvenir d'un peuple doux au sourire lumineux. Entre Nakon Phanom et Bangkok, la seule nuit d'hotel que je m'offrirai sera pour recuperer de mes trop courtes nuits thailandaises.

Un soir, je me retrouve au milieu d'une foret, dans un temple en bois, a partager mes anopheles avec un jeune peintre qui, comme tous les thais, revet l'habit de moine une fois dans sa vie, pendant 3 mois.

Il passe ses journees assis dans cette foret, a mediter. Le soir, ses potes arrivent, s'agenouillent et lui apportent coca et gateaux. Avant de dormir, presque tous les thais me proposent de piquer une tete dans un lac.
Il semble y en avoir partout, et je tente desesperement de me rememorer mon dernier bain dans un lac en France.(L'ai-je seulement fait?)
L'eau, qui a accumulee l'etouffante chaleur de la journee, est incroyablement chaude.
Je m'endors comme une masse.

Un autre soir, je tombe chez un couple dont le mari, pianiste aussi talentueux qu'alcolique, s'est mis en tete de m'entendre massacrer "Let it be". (Ici encore, comme au Vietnam ou en Chine, le karaoke est une institution)

Un autre soir, une prof d'anglais amenage une piece de sa maison en chambre d'hotel, me cuisine des merveilles non pimentees (attention charmante) et me dira en partant : "Cette chambre est la tienne maintenant, si tu reviens un jour en Thailande, tu pourras y rester aussi longtemps que tu veux."

Quelques jours apres, je dormirai au bord d'un lac, chez un pecheur qui me regalera de beignets de poissons et m'invitera a rester un mois de plus...

Un jour, un Thai a un geste superbe : alors que l'on bavarde depuis une petite heure, il enleve l'unique chevaliere qu'il porte et me l'offre, en souvenir de lui, avant de me souhaiter bonne route.
Ailleurs, un thai s'enquiert de ce qui peut bien me manquer. "J'ai tout, merci!". Coup d'oeil a mon vieux tee-shirt, il disparait et revient avec un tee-shirt neuf, estampille Pepsi.
C'est pas mes sponsors, mais je le garde quand meme !

Je me souviens d'une scene etrange.
Un soir, je dors dans une petite cabane-restaurant au bord de la route. Une famille entiere vit ici, sous ce toit de paille. Le vent se leve. Un vent fracassant, qui fait violemment trembler les minces poutres en bois.
En une seconde, toute la famille se precipite et chacun s'agripe a une poutre pour retenir la cabane. La scene est belle, poignante meme, sauf que c'est toute leur vie, cette cabane.
Ils sont debout, maintiennent la maisonnee en me souriant, jusqu'a ce que le vent s'arrete. Brusquement, la pluie s'abat... le vent se calme, ils retournent se coucher.
Le lendemain, ils recoueront le panneau "Restaurant" et reprendront leur vie de misere.
Difficile de parler de ce peuple sans parler du bouddhisme thai.
Comment sinon expliquer ces phenomenes incompreensibles pour nous occidentaux, comme ces bouchons interminables a Bangkok qui semblent ne generer aucun stress chez les conducteurs, ou ces pauvres paysans toujours prets a vous sourire ?

L'illustration la plus belle de cet art de vivre thai me sera donnee le jour ou j'atteindrai Bangkok.
Un heureux hasard qui a voulu que j'entre dans la capitale le jour de l'an bouddhique. L'imperatif : des sacoches etanches.
Imaginez l'inimaginable. Le genre de fete qui, a Paris, degenererai en un bain de sang.

Pendant 3 jours feries, toute la population s'asperge d'eau et de peinture, nuit et jour, sans que l'athmosphere ne s'envenime jamais. Tout le monde a le droit de mitrailler tout le monde, et meme les vieillards, qui ne sont pas epargnes (mais sont traites avec plus de douceur) regardent tout ce cirque sans jamais s'enerver. Cette fete est unique. Paume dans l'immense megalopole, seul un pauvre cyclo francais tente vainement de surnager...


Je resterai 3 semaines a Bangkok.

Je loge a Kao Shan Road, ou faute de rencontrer un hyppie disjoncte qui me revelerait l'emplacement de la plage ou Virginie Ledoyen me ferait des crepes, je passe mes journees sur le net, a preparer la suite du voyage, en attendant mes visas.

Je ne descends pas plus au sud.
La chaleur n'est plus supportable, a 11h il fait 40 degres.

Non, mon projet est tout autre.
La decision serait trop longue a expliquer, alors voila : je m'envole pour l'Asie Centrale.
Pas trop cool la vie ?